Marie-Louise Steulet
C’est une vie toute en évidences…
Marie-Louise voit le jour en 1949 à Bâle, elle est la deuxième fille d’une famille qui en comptera trois. Ses parents Jean et Charlotte Kämpf, exilés de leur Jura natal, élèvent leurs trois filles en français. L’allemand est la langue scolaire, les deux cultures demeurent séparées, bien que complémentaires. Les vacances chez les Kämpf, c’est naturellement dans le Jura qu’elles se passent… La petite fille est bien consciente déjà que cette patrie en devenir est liée à son destin. Toute petite déjà, elle aime suivre son papa dans des actions humanitaires et bénévoles chez Emmaüs, à la Fondation Abbé Pierre, auprès des réfugiés, des prisonniers… très tôt, elle est sensibilisée à la misère humaine et aux inégalités sociales… Attaché à ses racines jurassiennes, son père est également président de l’Émulation Jurassienne à Bâle… Marie-Louise est fascinée par cet homme aux valeurs humanistes.
Le premier homme de sa vie n’est toutefois pas immortel, il sera hospitalisé quelques mois, souffrant d’une leucémie. Marie-Louise à 13 ans… Tenue au silence pour ne pas déranger une maman courageuse mais résignée, la petite fille visite son papa en cachette à l’hôpital… ne pouvant ni le toucher ni lui parler, elle ne peut que ressentir ses souffrances et assister à sa lente agonie derrière une vitre… Elle voudrait tellement lui venir en aide… seule consolation, elle sait qu’il sait qu’elle est là… Elle doit pourtant affronter la triste réalité, son père adoré s’éteint… Marie-Louise se sent abandonnée, elle n’a qu’une seule conviction, un jour, elle fera quelque chose pour les gens qui souffrent…
Brillante élève du Gymnase des filles depuis l’âge de 11 ans, c’est comme ça en ce temps-là, elle est presque envoûtée par ses enseignantes. Femmes aux convictions avant-gardistes, engagées pour la cause des femmes, prônant la liberté, l’indépendance et l’égalité homme-femme, elles sont les précurseures du mouvement féministe et elles le transmettent haut et fort aux petites élèves ébahies par cette envie de liberté. Marie-Louise trouve enfin écho à ses ressentis intérieurs. Elle peut enfin y mettre des mots, elle ne veut pas passer à côté de sa vie… Elle fera ses propres choix. Et c’est bercée par cette mouvance de liberté qu’elle décide, malgré la désapprobation de sa mère, un peu craintive, d’assister à sa première Fête du Peuple à Delémont. Nous sommes en 1966, Marie-Louise a 17 ans. Accompagnée par sa grande sœur, peu convaincue par le « voyage ». Fascinée par l’ambiance, elle se laisse happer avec allégresse par une foule dépassant 40’000 personnes… Au fil de sa promenade, elle aperçoit quelques garçons qui discutent sur un banc. Leur gestuelle et leur discussion enflammée la fascinent… C’est toute en candeur, mais non sans un certain culot, qu’elle s’assoit entre deux d’entre eux et leur dit : « Je viens de Bâle et j’aimerais connaître l’Histoire jurassienne, comprendre sa marche vers l’indépendance. » Sans doute surpris et un peu amusés par un tel aplomb, les jeunes hommes s’exécutent. Marie-Louise écoute, questionne, apprend et tombe sous le charme d’un des beaux orateurs. Il n’y a pas de hasard, elle s’est assise au bon endroit… La soirée s’achève, il est l’heure de chastes au revoir. De cette soirée, elle retiendra un prénom, Pierre, et une connaissance plus approfondie de sa terre ancestrale.
Les mois passent, et c’est accompagnée d’un cousin cette fois que Marie-Louise se rend à sa deuxième Fête du Peuple. Très vite, elle se sent intégrée à cette immense foule et c’est sur la piste de danse qu’elle attend le beau jeune homme… De lui, elle ne sait que le prénom, mais elle sait, elle sent qu’il viendra… et c’est tout naturellement que quelques heures plus tard, il arrive. Pierre savait qu’il la retrouverait là… une certitude des cœurs, une évidence de la vie… Ils ont 18 ans, la vie devant eux, et ils comptent bien réaliser tous leurs rêves !
Malgré le désaccord de leurs parents respectifs – la mère de Marie-Louise croyant qu’elle abandonnerait ses études et ceux de Pierre inquiets qu’une fille aux études ne sache rien faire dans une maison – nos tourtereaux sont bien décidés à mettre leur projet de vie en route… Ils se marient en 1971. La force de leur couple : le respect l’un de l’autre tant au niveau personnel que professionnel… ils regardent vraiment dans la même direction, l’accomplissement est leur leitmotiv commun. Marie-Louise, maintenant Steulet, débute des études de pharmacie, elle adore les sciences et les mathématiques et la vieille promesse à son père resurgit sûrement : contribuer à guérir l’être qui souffre, à le soulager…
De son côté, Pierre est instituteur à l’école normale. Fils de paysan, il est toutefois attiré par des études en agronomie.
C’est en Allemagne que le couple s’installe, Marie-Louise pour y poursuivre ses études et Pierre pour y apprendre l’allemand… Ce sera une année réussie pour Marie-Louise, malgré les difficultés liées à la culture de l’époque. Une femme mariée, étrangère… pas toujours facile de se faire une place… C’est maintenant à Zurich qu’ils posent leurs valises, encore deux ans d’université pour Marie-Louise et des études en agronomie pour Pierre. Un an passe, le verdict pour le jeune homme est sans appel, il n’est pas à l’aise dans ce milieu suisse-allemand. Sa passion de toujours pour l’audiovisuel prend le dessus, il ne sera pas ingénieur en agronomie.
En 1974, notre Marie-Louise obtient son diplôme de pharmacienne et c’est tout juste sortie de l’université qu’elle a l’opportunité d’acheter sa propre pharmacie à Neuchâtel. Elle devient donc indépendante à 25 ans… L’argent ne tombe pas du ciel et c’est à force d’économies que le couple a pu mettre de côté une somme suffisante… Bien installés à Cortaillod, il est temps de fonder leur famille. C’est aussi une évidence… se suivent alors Chloé en 1976, Valère en 1977 et Jérôme en 1979. L’adage dit que le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre. Après des études en pharmacie à Bâle et un bref passage à RFJ, Chloé est depuis dix-sept ans journaliste à la RTS. Valère, un diplôme de la HEG à Fribourg en poche, fut directeur financier pendant vingt ans dans l’entreprise de son père. Et Jérôme, quant à lui, y travaille encore…
La vie est belle, Pierre fonde Image et Son avec un ami et est également caméraman indépendant pour la TSR à Genève, il couvre les régions… Après huit ans dans le canton de Neuchâtel, l’appel du Jura se fait ressentir… Marie-Louise, qui a 15 ans déjà voulait y vivre, ne se fait pas prier, et c’est en 1981, qu’a cinq cette fois, ils défont leurs bagages… dans un Jura libre et fort aimé !
Bien que pharmacienne indépendante depuis plusieurs années, Marie-Louise ne peut acheter la pharmacie Montavon sans la signature de son mari… Le Jura a beau être un canton libéré, les mœurs et les conventions ne le sont pas forcément… Qu’à cela ne tienne, la pharmacie désuète est bientôt rénovée ainsi que toute la maison. Pierre est un visionnaire, il refait la façade en respectant le patrimoine de la ville.
La vitrine en arcade en redevient le témoin et il bâtit deux entrées, une pour la pharmacie, l’autre pour l’appartement qui deviendra plus tard le studio RFJ. Pendant ce temps, la petite famille habite à l’étage. Marie-Louise est comblée, vivre en Vieille Ville de Delémont est le rêve de son adolescence. De plus, c’est la maison qui les a choisis et non l’inverse, se plait-elle à dire. Située face à la statue de la vierge et du Tilleul de la Liberté, ainsi baptisé en 1974, c’est magique ! Cet arbre majestueux lui inspire donc le nom de sa pharmacie… Coïncidence ? Non… Évidence !
Un beau rêve la Vielle Ville, oui, mais la famille y est à l’étroit et la campagne leur manque… C’est donc fin 1982 qu’ils emménagent à Rossemaison, terre natale de Pierre. Ce dernier travaille encore pour la TSR, mais profite de l’appartement de la Vieille Ville pour tout doucement y aménager un studio radio. En 1992, ils construisent la maison qu’ils habitent encore aujourd’hui, dans le même village. Bien entendu, il n’y a pas que le travail dans la vie… Les vacances, ça compte aussi. Grands voyageurs, ils visiteront plusieurs pays d’Afrique, quelques pays arabes, l’Amérique centrale entre autres… Toujours motivés par ce goût de la découverte, sans rien planifier trop à l’avance, mais tout de même bien organisés… ils vont à la rencontre des gens et en reviennent toujours ressourcés… Grands amoureux des volcans, ces montagnes majestueuses et bouillonnantes qui, même endormies, peuvent se réveiller et refaire le monde autour d’elles, ils en font le fil rouge de leurs destinations. Tiens, tiens, comme c’est étrange… non… c’est une évidence…
Marie-Louise ne se repose pas sur ses lauriers… En 1984, elle rachète un vieux salon de coiffure à Courroux et y ouvre une deuxième pharmacie. Parallèlement, l’homme de sa vie fonde RFJ, RTN et RJB.
En 2014, un centre de santé voit le jour, un autre rêve se réalise, regrouper dans le même immeuble plusieurs spécialistes et thérapeutes et, bien évidemment, la pharmacie du Val Terbi !
Être femme entrepreneure est une chose, mais elle est aussi une femme engagée. Pendant quinze ans, elle est membre du comité du Groupement des commerçants de la Vieille Ville. En 2001, elle s’engage, entre autres combats, pour le maintien des places de parcs en Vielle Ville et pour que celle-ci ne soit pas divisée en deux. Elle est également, durant dix ans, présidente du Club de natation de Delémont. S’engager socialement, c’est un besoin… Sans doute, une belle nécessité… enfant, elle a eu le meilleur des exemples…
Difficile de raconter Marie-Louise sans Pierre, 50 ans de mariage cette année… Un couple de visionnaires qui est allé au bout de ses rêves sans jamais douter… Fidèles à leurs projets de vie… Loin de penser à la retraite, ils ont encore des projets de voyage plein la tête… découvrir de nouveaux volcans. Visiter l’Amérique du Sud, les pays nordiques entre autres… continuer les balades à vélo, le ski...
Marie-Louise est une épouse, une mère et une grand-mère aimante… Elle connait l’importance des liens familiaux, elle qui fut orpheline de père à l’aube de l’adolescence… Passer du temps avec ses six petits-enfants est un pur bonheur. Avec eux, elle partage des petites virées à Bâle, des spectacles, des repas… des séjours à la montagne pour les vacances… Ce ne sont pas Thibault, Anthony, Mathilda, Maëlle, Noah et Zélie qui s’en plaindront ! Grand-maman est en pleine forme ! Autant dans son corps que dans sa tête ! Adepte de yoga et de méditation, voilà peut-être le secret de sa jeunesse et de son équilibre.
Je dois vous avouer que j’ai eu grand plaisir à discuter avec Marie-Louise Steulet… au fil de notre entretien, j’ai découvert une femme joyeuse, énergique, passionnée… Son regard s’illumine quand elle se raconte… Elle ne regrette rien d’une vie à cent à l’heure, remplie de défis et d’inconnu… C’est une femme de partages qui aime tisser des liens, dans sa vie privée comme au travail. La Vieille Ville, elle l’a dans la peau, elle en parle avec beaucoup d’affection… Cette Vieille Ville, dame vêtue d’Histoire, de pavés et de magnifiques architectures est indissociable du destin de la petite Marie-Louise. Après tout, elle a eu bien raison d’y venir oser s’asseoir sur un banc en 1966…
Misti
décembre 2021
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