« Misti, tu me passes la cannelle stp ?  »

« T’en mets pas trop hein ? J’aime pas beaucoup ça, la muscade non plus… ça pique la langue… »

« Oui, mais c’est ça qui donne le goût…

Ç’est goûtu les « Fêtes de Noël ». C’est exotique !  »

Du haut de mes 6 ans, tout enfarinée en équilibre sur le petit tabouret qui me donnait la sensation d’être « une grande cuisinière »… ben, le goût de Noël, j’aimais pas ça ! Exotique ou pas ! Le mot ne me disait pas grand-chose… je me doutais cependant que c’était « précieux ». Ma grand-mère l’articulait avec tellement de précautions, comme un secret que nous partagions toutes les deux ambiancées par les chaudes voix de Bing Crosby et Frank Sinatra chantant « White Christmas »…

En cuisine, j’étais, depuis toute petite, « l’élue » de ma grand-mère, docile, appliquée, curieuse, gourmande aussi… elle guidait mes gestes maladroits d’enfant… éclatant de son rire cristallin lorsque je touillais une pâte à crêpe, éclaboussant le comptoir et plus d’une fois le mur… ! Jamais elle ne me grondait… Sa patience, que je lui envie encore aujourd’hui, me pardonnait tout… ou presque ! Elle m’a appris les odeurs, les saveurs, les termes justes… Elle encourageait mon inventivité culinaire, pas toujours auréolée de succès, je me doute bien ! « Essaie, tu verras bien !  » Elle m’a appris la cuisine d’instinct », celle tellement précieuse des mères de famille très nombreuse qui pouvaient concocter un festin avec peu d’ingrédients, mais beaucoup d’amour !

Mère de 10 enfants débordant de vie, grand-mère de 29 petits enfants, elle ne paniquait jamais quand une visite imprévue franchissait le seuil de sa coquette maison de St-Ours ! Jamais prise au dépourvu, la « dépense » toujours remplie de conserves… du lait, du beurre dans la glacière… des œufs dans le poulailler… des kilos de farine, de mélasse et de sucre dans l’armoire… « Amenez-en de la visite ! » Et à Noël, « ses » fameuses épices exotiques !!! Conservées précieusement dans une belle boîte en métal autrefois rouge et dorée…

Jusqu’à son dernier souffle, ma grand-mère Germaine fut ma confidente, ma meilleure amie, mon inspiration… elle se reconnaissait en moi je crois… Mes premières années de vie, je les vécus chez elle, ses dernières, elle les vécut chez moi… Hasard de la vie… peut-être… un cadeau sûrement… Mistinguett, c’est elle qui me nommait ainsi… depuis mes premiers mois déjà… Ça l’amusait beaucoup… elle voyait en moi un côté théâtral, je suppose… qui me connait bien, dirait qu’elle avait raison…

J’ai donc eu le privilège de cuisiner avec elle de longues années durant… D’être son « assistante » à la préparation des repas de Noël et du « Jour de l’An »… nous rigolions, chantions, dans un anglais très approximatif, nous nous moquions gentiment des débordements de nos proches lors des réveillons bien arrosés… Toutes deux étions déjà à la fête… des moments de partage précieux… Protégées de tabliers blancs qui ne le restaient pas longtemps, nous cuisinions à quatre mains, ragoût, dinde, tourtières, pâtés, biscuits, beignets, gâteaux… en musique svp ! Faisant fuir les gourmands et curieux d’un coup de torchon à vaisselle… mais ce que nous préférions concocter et qui terminait souvent notre épique séjour en cuisine, c’était « nos p’tits câlins »… une recette de nous pour « nous ». Comme une récompense à déguster avec un bon grand verre de lait froid… et oui, je l’avoue, aujourd’hui certaines fois aussi avec un p’tit caribou ! Au fil du temps, mes papilles se sont habituées aux épices exotiques ! Clou de girofle, muscade, cannelle sont aussi devenus mes alliées dans les plats traditionnels bien de chez nous…

Ma grand-mère est partie paisiblement, presque dans mes bras, un 31 décembre… Nous avons eu le temps de nous dire « au revoir ». À peine sortie de sa chambre… une sérénité m’envahit… un bien-être fleurant bon les épices exotiques, une reconnaissance infinie d’avoir pu partager quelques années de ma vie avec cette femme si inspirante, si aimante… si résiliente. D’elle, je garde de doux souvenirs… et sa boîte de métal défraîchie… j’y range encore « mes épices exotiques de Noël ». Et chaque fois que décembre s’installe, je l’ouvre, un peu nostalgique, et m’affaire à cuisiner des « p’tits câlins » pour les miens en écoutant Frank Sinatra… Alors, parce que vous et moi nous sommes « nous », je vous offre ce Noël des « P’tits câlins » qui viennent de loin… et qui j’espère réchaufferont vos cœurs en cette fin d’année 2025 !

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