Histoire de femme

DAnielle Voisard

À moins d’habiter en ermite au fond du bois, la vie est faite de rencontres, parfois elles se transforment, elles évoluent vers de l’amitié, parfois elles restent courtes et joyeuses ou nous laissent triste ou indifférent. L’humain grandit, se forge au fil des liens qui jalonnent sa vie… Certaines rencontres nous marquent plus que d’autres, nous inspirent, nous font grandir… Danielle Voisard est l’exemple parfait d’une femme inspirante pour moi… et le sera sans doute pour vous aussi…

La petite Danielle naît en octobre 1957 à Nyon. Danielle et sa sœur cadette Martine sont élevées par un papa capitaine d’armée et par une maman très fragilisée par la maladie, soumise, mais aimante. L’ambiance est souvent tendue à la maison, c’est papa qui décide, il faut obéir, être sages, tirées à quatre épingles et se taire si on ne demande pas notre avis… Quelques moments de bonheur viennent alléger cette atmosphère rigide : des tours en avions CESNA avec un grand-père maternel, passionné d’aviation. Entrepreneur aisé, fondateur des cars postaux, il aime faire partager, dès leur plus jeune âge, l’amour du vol avec ses deux petites filles… Danielle en gardera ce goût de l’évasion et de la liberté qui conditionnera, entre autres, son désir de devenir hôtesse de l’air… Un rêve partagé par beaucoup de jeunes filles de l’époque… Danielle, elle, s’en donne les moyens. Elle quitte la maison et Bâle où elle fait ses études, non sans un certain soulagement, et part s’installer à Londres comme jeune fille au pair. Elle y apprendra un anglais impeccable, essentiel quand on veut devenir agent de bord… chez Swissair ! Le retour en terre helvète est pénible, sa grand-mère maternelle décède. Ironie du sort ou non, elle est amenée tout naturellement à assister le croque-mort de Nyon pour la toilette funéraire de son aïeule… Une expérience émouvante.

Armée de ses 20 ans et de trois langues parlées et écrites, elle passe avec succès les examens de la compagnie aérienne helvétique… Enfin ! Notre jeune Danielle déploie ses ailes, c’est le cas de le dire… elle parcourt et apprécie tous ces nouveaux lieux et modes de vie. Elle s’enrichit de toutes les découvertes et rencontres, faites au fil de ses voyages sur les cinq continents… Les trajets sont parfois courts, parfois longs, mais toujours formateurs… elle sera même confrontée, sur un vol New York - Genève, au décès d’un homme sur son siège… Pas facile pour l’équipage de gérer ce drame, mais elle demeure calme et efficace malgré son jeune âge. C’est le métier qui rentre… « S’envoyer en l’air », comme on dit, ne l’empêche pas de trouver l’amour, en la personne de Romain Voisard, son mari depuis plus de 40 ans. Après un tour du monde en guise de voyage de noces, rien de moins, les deux tourtereaux fondent une famille. Trois garçons viennent à la suite : Jérôme, Stéphane et Éric ! Que de bonheur, mais pas que, quelques jours après la naissance de son fils aîné, Danielle à la douleur de perdre sa maman d’un cancer qui l’aura rongée pendant 10 ans… Un soulagement certes, mais à 25 ans, nouvellement maman… c’est un deuil difficile. La jeune femme est résiliente et continue son chemin de mère, d’épouse et d’hôtesse de l’air à mi-temps. Comme son grand-père l’a fait jadis pour elle, elle amènera ses hommes dans les airs, mais pas en CESNA ! Quelle chance de pouvoir voyager en famille, de faire découvrir toutes ces contrées nouvelles !

En 1996 vient, en catimini, une certaine lassitude… une envie de changement… C’est tout naturellement que la jeune femme commence des stages dans les pompes funèbres… une révélation… le contact intime, vrai, avec les familles la bouleverse positivement… Elle a besoin d’authenticité, c’est une évidence, elle veut rendre service, être là pour les autres… La graine est semée, elle germe tout doucement…

En début de l’année 1997, Danielle, son parrain, un ami, ainsi que son mari Romain, qui vient de quitter son poste au centre d’accueil des requérants, mettent tout en œuvre pour fonder l’entreprise de Pompes funèbres Voisard. Le hasard ?... La fatalité ?... Le père de Danielle décède peu après l’ouverture de leur entreprise. Une évidence, prendre soin de son papa pour son dernier repos… les fils de Danielle et Romain participent aux obsèques sans se douter de leurs futures vocations. Toujours hôtesse de l’air et maintenant propriétaire d’une entreprise de pompes funèbres, Danielle essaie de concilier ses deux passions professionnelles, sa vie de famille, de femme… Le 2 septembre 1998, le destin, malheureux cette fois, vient lui donner un coup de pouce… Le vol SR 111 s’écrase au large des côtes canadiennes. Aucun survivant, une tragédie ! Une fin horrible pour tous ces passagers et membres d’équipage… La jeune femme était de réserve pour ce long courrier… Une gifle ! Elle aurait pu être à bord… Que d’amis et de connaissances disparus ! Certes, ce n’était pas son heure, mais hors de question de continuer… ses enfants la supplient… il est temps de passer à autre chose… et c’est à 100 % qu’elle s’engage dans l’entreprise familiale…

En 2000, elle passe le brevet fédéral, une pionnière dans le domaine. Les fils suivent naturellement la voie. Tous les trois rejoignent l’entreprise… travailler en famille, c’est magnifique, surtout dans ce domaine. Danielle est sereine, l’avenir s’annonce radieux, jusqu’à une banale visite gynécologique le 15 décembre 2015… Une tumeur de 5 cm au sein droit… Tout s’enchaîne rapidement, échographie, biopsie, opération, pas le temps de s’apitoyer… Le 24 décembre, c’est la sortie de l’hôpital, mais pas du tunnel… le chemin vers la guérison est encore long… S’enchaînent 33 séances de chimio, une radiothérapie, quelques effets secondaires… certains plus pénibles que d’autres… Une embolie pulmonaire vient ajouter stress et souffrances à ce parcours de combattante ! Tellement de femmes et d’hommes subissent un cancer… Chacun l’envisage à sa façon. Danielle n’est pas une victime, elle décide de se battre… Elle ne pense pas à l’hérédité… C’est son destin, c’est tout ! C’est dans l’épreuve que l’on connait ses vrais amis… La quinquagénaire est bien entourée, la famille est très présente ainsi que deux amies très proches, c’est précieux… Elle peut se confier, se laisser aller parfois… Être soi dans la maladie et même affaiblie, demeurer une guerrière… Rien n’arrive pour rien… voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide… les nombreux enseignements de Rosette Poletti prennent ici tous leurs sens… Tous ces cours suivis antérieurement, il faut les mettre en pratique maintenant ! Mais parfois, c’est difficile… on pense à la mort… Comment faire autrement ? On y passera tous, c’est une fatalité… Danielle n’a pas peur de la mort, elle la côtoie presque tous les jours au travail… Elle sait tout le respect apporté au corps lors de la mise en bière… Comment on s’occupe d’un défunt… Ça elle connaît… C’est de quitter cette vie qu’elle aime tant, ses proches, qui est difficile… alors, elle s’accroche, elle reprend goût à la vie. Regarder grandir ses petits-enfants, les câliner, les voir rire, chanter, se chamailler, ils ont toute la vie devant eux et elle veut les accompagner le plus longtemps possible ! Les enfants, les petits enfants, ça nous tire en avant ! On ne connait pas l’heure du grand départ, heureusement, alors il faut vivre au jour le jour, l’instant présent, comme s’il n’y avait pas de lendemain… Danielle apprend à profiter de chaque petit moment, même le plus banal, tel « manger une bonne soupe chaude à l’emporter ». Maintenant, elle sait que l’on passe trop souvent à côté des cadeaux de la vie sans s’en rendre compte…

Elle vainc le cancer, consciente que cette grâce n’est pas accordée à tous les malades. Elle décide de profiter à fond de la vie et se lance des défis. Après le mois d’arrêt professionnel, la reprise… Quel bonheur de travailler en famille ! Les pompes funèbres, c’est une vocation chez les Voisard… Aider les familles dans leurs deuils… vivre de beaux moments de partages avec elles, les écouter, les guider… La mort fait partie de la vie… Les aider à dire au revoir ou adieu selon… C’est plus qu’un travail pour Danielle, c’est une passion… Membre active du comité central suisse de l’ASSF (Association suisse des services funéraires), elle décide d’accepter la proposition qui lui est faite de créer une section romande pour la formation et les examens du brevet fédéral destiné aux entrepreneurs de pompes funèbres…

 

Maîtrisant parfaitement l’allemand et le suisse allemand, Danielle est également formatrice chez nos voisins alémaniques… Membre du Zonta-Club-Delémont depuis plusieurs années, elle prend également grand plaisir à retrouver ses compagnes zontiennes afin de venir en aide aux femmes dans leur insertion sociale respective.

Danielle est une « passeur », il suffit de s’arrêter à son parcours de vie pour le constater… Cette envie de partage, d’aider autrui est ancrée en elle… Savoir rebondir dans l’épreuve, s’adapter aux changements d’objectifs de vie quand il le faut… parce qu’elle est attentive aux petits signes que la vie lui envoie. Danielle est une battante ! Une battante au regard bienveillant, à la parole des sages qui ont connu « mille vies », une battante au cœur grand comme… le firmament !

 

Pour en savoir un peu plus…

Danielle, ta plus grande réussite dans la vie ?

Toute petite, je voulais fonder une famille… c’est fait !

Ta plus belle ?

J’ai fait et je fais encore ce que j’ai envie ! Avoir pu pratiquer mes deux professions.

Qu’est-ce qui te mettait en colère à 20 ans ?

La soumission à mes parents… devoir dire « oui maman » « oui papa » !

Et maintenant ?

Les injustices sociales

Quels étaient tes rêves quand tu étais petite fille ?

J’ai toujours voulu devenir hôtesse de l’air, ce que j’ai fait pendant 20 ans !

Pour toi, qu’est-ce qu’une vie de femme réussie ?

Voir ses enfants heureux dans leurs vies professionnelles et familiales. Mes garçons ont suivi nos traces, c’est leurs choix. J’en suis fière. En 2019, notre fils Jérôme a obtenu son brevet fédéral. Éric le passera prochainement… Stéphane est un associé précieux… C’est une satisfaction de mère. Il est aussi très important pour moi d’aller de l’avant dans ma vie professionnelle et sociale. Il ne faut jamais arrêter de se fixer des buts, des objectifs.

Quels préjugés rencontres-tu dans ta profession ?

Les tabous les plus récurrents liés à la mort sont la présence des enfants aux obsèques. Les gens ont peur de leurs réactions… C’est dommage, il faut les inclure dans le processus de deuil. C’est important pour leur propre cheminement. Les enfants sont plus résilients que l’on croit, ils nous donnent souvent un enseignement précieux… C’est mon avis… Bien entendu, nous respectons toujours la volonté des familles endeuillées.

Un souvenir douloureux lié à ta profession ?

Il y a plusieurs années, un accident de ferme… Deux enfants de 2 et 4 ans… La douleur de la famille… Je me suis occupée seule de la mise en cercueil entre autres… Ce fut très émouvant, pour la professionnelle, mais aussi pour la maman que je suis…

Pour toi, doit-on élever les garçons comme les filles ?

Mère de 3 garçons, je pense que oui. De nos jours, la femme n’est plus soumise comme à l’époque. Souvent, dans un couple, les deux travaillent, donc ils doivent partager les tâches…

Quel genre de grand-mère es-tu ?

Une grand-maman comblée et très complice avec Nathan, 12 ans, Nora, 10 ans, William, 2 ½ ans et Colin, 9 mois ! J’ai envie de faire plein d’activités avec eux, selon leurs âges, bien entendu, leur faire découvrir les beautés de la vie et… les voyages !

Que leur dirais-tu pour les préparer à l’avenir ?

Soyez heureux ! Ayez surtout de la confiance et de l’estime pour vous-même. Vous êtes uniques ! Regardez en avant, le passé est derrière et on ne peut plus changer… mais le futur, c’est vous qui vous le créerez. Vivez l’instant présent !

À tes petits-fils ?

Respectez les filles.

À ta petite fille ?

Ose dire non !

 

Merci beaucoup Danielle !

Misti
avril 2020

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